Valensole : voir la lavande, oui, mais pas à n'importe quel prix

16 juin 2025

Le Plateau de Valensole, une carte postale française à préserver

Impossible de parler de la Provence sans évoquer le plateau de Valensole et ses kilomètres de lavande violette à perte de vue. Chaque été, cette petite région du département des Alpes-de-Haute-Provence voit débarquer entre 500 000 et 800 000 visiteurs (données Office de Tourisme de Valensole et chiffres compilés par France Bleu, 2022). C'est un aimant à photographes et influenceurs, à touristes venus du monde entier… et donc un territoire sous pression.

Mais derrière cette image d’Épinal se cache une réalité bien moins idyllique : la lavandiculture, c’est avant tout une filière agricole fragile, qui jongle entre sécheresses, attaques de parasites – le redoutable cicadelle, par exemple, a obligé les lavandiculteurs à renouveler près d’un quart des plants entre 2016 et 2020 (source : France 3 Provence-Alpes) – et les frais liés à un tourisme devenu difficile à gérer.

Pourquoi la lavande est-elle si sensible au tourisme ?

La question mérite d’être posée : comment quelques foulées pour une photo souvenir risquent-elles d’abîmer ces cultures ? Quelques chiffres donnent l’ampleur du problème :

  • Une tige de lavande écrasée ou cassée ne se relève pas – la fleur est fichue pour la récolte, et la plante s’abîme durablement.
  • En période de floraison, un champ piétiné perd jusqu’à 20% de rendement sur les zones touchées (Source : France Inter, entretien avec un lavandiculteur, juillet 2022).
  • Chaque année, plusieurs parcelles sont replantées à Valensole à cause des dégâts humains, pour un coût moyen compris entre 2 000 et 4 000 euros/hectare selon le Syndicat des producteurs de lavande.

En prime, les lavandes sont particulièrement vulnérables aux transmissions de maladies (notamment via les semelles de chaussures ou la cueillette sauvage), ce qui compromet à la fois la production et toute une filière économique régionale.

Visiter et respecter : les règles d’or sur le plateau

Venir à Valensole ne se résume pas à "entrer dans le champ et faire des photos". Les agriculteurs le rappellent : les champs de lavande sont leur outil de travail, et donc une propriété privée la plupart du temps. Le bon sens s’impose, mais faute de régulation, beaucoup d’abus persistent.

  • Ne jamais entrer dans le champ sans autorisation : Rester sur les allées bordant les parcelles, repérées généralement par l’absence d’épis de lavande ou de piquets en bois marquant la limite.
  • Pas de cueillette sauvage : 87% des producteurs interrogés par la Chambre d'Agriculture des Alpes-de-Haute-Provence en 2021 constatent des vols de fleurs.
  • Pas de déchets laissés sur place : La présence de plastique ou autres détritus dans les sillons augmente chaque année. Selon la Communauté de Communes Durance Luberon Verdon Agglomération (DLVA), le ramassage des déchets coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros par saison estivale.
  • Respecter la tranquillité des agriculteurs : La période de floraison, c’est aussi celle de la surveillance des champs (pour éviter les vols, surveiller les maladies, préparer la récolte). Un agriculteur consacre en moyenne entre 10 et 20 heures par semaine à surveiller ses parcelles en été – chiffre confirmé par France 3 PACA.

La plupart des exploitations proposent des spots photo balisés et parfois aménagés pour accueillir les visiteurs – c’est le cas de Lavandes Angelvin ou Terraroma, qui installent chaque année des chemins piétonniers temporaires.

Focus : la mobilisation des lavandiculteurs pour accueillir les visiteurs

Face à cette ruée touristique, les agriculteurs n’ont pas attendu les autorités pour proposer des solutions :

  • Création de parkings temporaires en bordure des routes pour canaliser les flux piétons et éviter le stationnement sauvage, véritable fléau sur la D6 et la D8 (des accrochages impliquant des touristes ont généré plus de 40 interventions de gendarmerie en 2023, selon La Provence).
  • Passages balisés matérialisés par des cordons ou panneaux, souvent accompagnés d’une vente directe sur place (huiles essentielles, bouquets…)
  • Visites guidées proposées par des lavandiculteurs pour faire découvrir leurs métiers et initier à la lavande "autrement". Plus d’une quinzaine d’exploitations le proposent autour de Valensole – tous les étés, la demande ne cesse d’augmenter (source : Office du Tourisme de Valensole).
  • Communication multilingue : la mairie édite chaque année des flyers traduits en anglais, italien, mandarin, et espagnol pour sensibiliser tous les visiteurs.

Ce sont souvent des efforts individuels qui pallient l’absence, jusqu’ici, d’une vraie politique publique coordonnée pour le respect des champs. Les collectifs d’agriculteurs, comme l’Association de Promotion de la Lavande de Haute-Provence, militent pour une Charte du visiteur, à l’image de ce qui existe dans les parcs nationaux.

Idées concrètes pour une visite responsable (et mémorable)

Admirer la lavande reste un privilège – pourvu que chacun y mette du sien. Quelques pratiques responsables :

  1. Préparer sa visite à l’avance : S’informer sur les spots aménagés ou les exploitations ouvertes à la visite (via les offices de tourisme, sites comme provenceguide.com ou directement auprès des agriculteurs).
  2. S’habiller en conséquence : Des chaussures fermées à semelles propres évitent la transmission de maladies.
  3. Respecter la faune locale : Le plateau abrite de nombreux pollinisateurs. Évitez les gestes brusques, ne perturbez pas les abeilles.
  4. Prendre ses photos depuis les allées prévues : Vous obtiendrez des clichés tout aussi magiques depuis les points de vue balisés sans dégrader les plantations.
  5. Penser à la « visite utile » : Achetez local sur place : un flacon d’huile essentielle ou un sachet de lavande, c’est un geste pour l’économie locale… et un souvenir qui a du sens.
  6. Participer aux événements labellisés : Les fêtes de la Lavande, comme celle du 3e week-end de juillet à Valensole, encadrent l’accès aux champs et proposent des activités sans risque pour les cultures.

Certains sites encouragent aussi les visiteurs à poster sur les réseaux sociaux des photos prises depuis les allées, en taguant l’exploitation ou le hashtag #respectlavande (initiative relayée par l’office de tourisme depuis 2023).

Une question d’avenir : peut-on préserver la lavande ET partager ce patrimoine ?

La flambée du tourisme en Provence, favorisée par Instagram et l’engouement pour la « french touch » rurale, impose de repenser les modes de visite. La lavande de Valensole, c’est près de 1000 hectares cultivés et 120 exploitations (Source : Chambre d’Agriculture 04) : derrière la splendeur estivale se joue l’avenir d’une économie régionale et d’un savoir-faire classé "Patrimoine Culturel Immatériel" par la France depuis 2018 (Ministère de la Culture).

Des initiatives émergent aussi du côté des collectivités : le Parc naturel régional du Verdon ambitionne, d’ici 2025, de mettre en place une charte de visite et une signalétique homogène. La Région Sud soutient la labellisation "Lavande de Haute-Provence" et la diversification des activités agrotouristiques, pour valoriser d’autres formes de tourisme plus respectueuses – randonnée accompagnée, balades en vélo, parcours éducatifs, etc.

Le vrai luxe, ici, c’est encore de prendre le temps d’observer, de rencontrer, d’apprendre, plutôt que de consommer la Provence en accéléré. La lavande, emblème fragile mais partagé, n’y survivra qu’à condition d’être admirée avec discernement.

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