Les secrets du parc national des Écrins : immersion au cœur d’un géant provençal

13 juin 2025

Une forteresse de nature, entre grands chiffres et paradoxes géographiques

Le parc national des Écrins, c’est d’abord un territoire aussi vaste qu’exigeant. À cheval entre les Hautes-Alpes et l’Isère, il s’étend sur plus de 91 800 hectares – de quoi englober Paris, Marseille et Lyon réunies. Pourtant, même si une partie nord du parc se trouve sur le massif alpin, une importante fraction s’inscrit en Provence géographique et culturelle, notamment dans le Briançonnais, le Champsaur ou encore le Valgaudemar. Ce « géant » occupe près de 60 communes, dont beaucoup vivent toute l’année du tourisme vert, de l’agriculture de montagne et des petits métiers locaux (Source : Parc national des Écrins).

On a tendance à l’associer spontanément à la rudesse alpine, alors que nombre de ses villages, de ses traditions et même de ses paysages, sont profondément marqués par la Provence intérieure. D’un creux de vallée à l’autre, on croise des accents chantants, des champs de lavande, des marchés de producteurs où l’on retrouve ce « parler vrai » propre à la ruralité provençale.

Un territoire à part : une histoire marquée par la lutte et l’attachement

Loin de l’image bucolique qu’on pourrait se faire d’un « sanctuaire écologique », le parc est le fruit d’une longue bataille entre citoyens, élus et pouvoirs publics. Initialement envisagé dans les années 1910 pour endiguer la désertification rurale, il faudra attendre 1973 pour que le parc national voie officiellement le jour – après plus de 60 ans de débats, parfois houleux, entre écologistes, éleveurs et municipalités (Source : Ministère de la Transition écologique).

Derrière cette création, un point d’équilibre délicat : le parc repose sur un modèle singulier de gestion partagée, mêlant espaces strictement protégés et zones « d’adhésion » gérées avec les habitants. Cette gouvernance atypique, constamment renégociée, fait aujourd’hui des Écrins un laboratoire d’innovation sociale et environnementale.

  • Sur près de 150 000 hectares de zone périphérique, l'implication des résidents pour l’entretien de la biodiversité est prise comme modèle étudié jusque dans d'autres parcs nationaux français (Source : INRAE).
  • Le parc accueille un conseil économique, social et culturel, unique en son genre, où siègent des représentants des communes, agriculteurs, acteurs touristiques et scientifiques.

Une biodiversité exceptionnelle, mais sous tension

Avec plus de 7 000 espèces animales et végétales recensées (source : Parc national des Écrins), les Écrins sont un hotspot de diversité. Quelques exemples marquants :

  • Plus de 210 espèces d’oiseaux, dont l’aigle royal et le tichodrome échelette, rares en France.
  • Entre 50 et 70 bouquetins de souche alpine réintroduits depuis les années 1980, avec un effectif stabilisé autour de 600 individus aujourd’hui.
  • Le glacier Blanc et le glacier Noir, parmi les derniers grands glaciers actifs du sud alpin, étudiés de près pour le suivi du réchauffement climatique.

Ce tableau flatteur cache cependant de fortes pressions : réduction des glaciers (près de 40 % de superficie perdue en 50 ans selon le CNRS), feux de forêt plus nombreux en basse altitude, espèces invasives. Le parc se veut à la pointe sur le suivi et la pédagogie, avec des programmes de « sciences participatives », qui mobilisent associations scolaires, chasseurs et clubs de randonneurs pour recueillir des données de terrain en continu.

Voies secrètes et paysages méconnus

Si le parc est célèbre pour ses « stars » – la barre des Écrins, sommet à 4 102 mètres, et les « blems » (blocs erratiques) géants de la vallée de la Romanche – il recèle encore des recoins peu explorés, loin des flux estivaux :

  1. Le vallon du Lauvitel : accessible uniquement par un petit hameau, il abrite le plus grand lac naturel du parc (et du département de l’Isère) – mais aussi une « réserve intégrale » où scientifiques et naturalistes mènent des études sur l’évolution spontanée des écosystèmes, sans aucune intervention humaine.
  2. Le plateau d’Emparis : frontière naturelle entre Oisans et Briançonnais, ce vaste alpage suspendu à près de 2 400 m, accueille chaque été transhumances, troupeaux… mais aussi une partie des dernières fermes d’alpage traditionnelles de Provence, où l’on produit du fromage fermier selon des pratiques séculaires.
  3. Le sanctuaire des chardons bleus : situé vers la vallée du Valgaudemar, ce secteur regroupe la plus forte concentration de chardons bleus (Eryngium bourgatii) de tout le territoire français, protégés nationalement.

Autre rareté : la présence de plus de 80 km de sentiers réservés « silencieux » l’été, où la circulation des VTT et des engins motorisés est strictement contrôlée, privilégiant la faune locale, comme le lièvre variable ou le lagopède alpin (source : Fédération Française de Randonnée).

Un terreau d’initiatives humaines : du pastoralisme aux énergies d’avenir

La vie dans les Écrins, c’est aussi une histoire d’équilibre entre l’homme et la montagne : l’agropastoralisme façonne les paysages depuis des siècles, limitant la reforestation spontanée et entretenant un « mosaïque » d’habitats favorables à l’avifaune et aux insectes pollinisateurs.

Quelques chiffres clés montrent l’ancrage social du parc :

  • 70 % de ses 32 000 habitants dépendent directement ou indirectement des activités de montagne (agriculture, artisanat, tourisme – Source : Observatoire des Territoires PACA).
  • Près de 120 exploitations agricoles produisent ici des spécialités reconnues : miel, fromage de chèvre, viande ovine AOP « Agneau de Sisteron ».

Mais les Écrins s’affichent aussi comme pionniers sur les « nouvelles ruralités » :

  • Énergie : Plusieurs hameaux isolés – Puy-Saint-Vincent, Vallouise – expérimentent le modèle « microgrid », combinant panneaux solaires, stockage local et gestion intelligente de l’énergie à l’échelle communale (Source : Enedis, La Provence).
  • Accueil d’activités innovantes : Le parc attire des néo-ruraux porteurs de projets : meuneries à l’ancienne sur la Séveraise, microbrasseries, chantiers participatifs d’habitat partagé et tourisme durable (avec le label Esprit Parc National).
  • Témoin du réchauffement climatique : Depuis 2007, la maison du parc de Vallouise accueille un centre d’observation des « changements globaux » où les habitants viennent eux-mêmes confronter leurs relevés et photos aux mesures scientifiques (Source : Parc national des Écrins).

Des enjeux brûlants pour l’avenir : fréquentation, préservation… et identité

Le parc national des Écrins est aujourd’hui à la croisée des chemins. D’un côté, la fréquentation annuelle dépasse le million de visiteurs (Source : Atout France), avec des pics records lors de vagues de canicule, devenues courantes depuis 2015. Cet afflux bouleverse les équilibres fragiles : multiplication des bivouacs sauvages, conflits d’usage sur les sentiers, prolifération de déchets.

Mais, paradoxalement, il reste de vastes poches de sous-fréquentation. Certains villages – La Chapelle-en-Valgaudemar, Freissinières – voient leur population fondre hors saison, faute de services et d’emplois stables.

  • Le taux de résidences secondaires atteint 70 % dans certaines communes d’altitude, générant une économie de « saisonnalité » parfois déconnectée des besoins réels des habitants (Source : INSEE).
  • En moyenne, le logement permanent recule chaque année, accentuant le sentiment de désertification pour les jeunes familles.

Face à ces enjeux, le parc mise sur l’éducation à l’environnement, l’agritourisme de proximité et le développement raisonné du tout numérique – avec le déploiement accéléré de la fibre jusqu’aux hameaux les plus reculés (courant 2023 dans le Haut Champsaur, Source : Département des Hautes-Alpes).

Un territoire vivant, aux multiples visages, qui interroge la Provence

Au fil de ses vallées et de ses crêtes, le parc national des Écrins fonctionne comme un révélateur des tensions et des atouts de la Provence du XXIe siècle. Il rappelle que la défense d’un patrimoine naturel d’exception n’exclut pas l’innovation sociale, ni l’ancrage humain. Il oblige à inventer de nouveaux équilibres entre préservation de la biodiversité, développement rural et accueil du grand public.

Sur fond de changement climatique, de mutation économique et de pressions démographiques, les Écrins montrent que les enjeux de demain se jouent autant dans la gestion quotidienne des territoires que dans les grandes orientations nationales. Que l’on soit simple promeneur, habitant de toujours ou amoureux de la Provence, la découverte des secrets du parc reste un formidable point de départ pour (re)penser notre lien à la nature et à la ruralité.

Pour aller plus loin : Site officiel Parc national des Écrins, INRAE, La Provence, CNRS, INSEE

En savoir plus à ce sujet :