La Provence étoilée : chefs d’exception et cuisine locale revisitée

25 août 2025

La Provence : berceau d’une cuisine vivante

Impossible d’évoquer la cuisine provençale sans quelques éléments historiques. La tradition gastronomique locale repose sur des produits phares : huile d’olive, herbes de la garrigue, poissons de Méditerranée, légumes du soleil. Pourtant, contrairement à certaines régions figées dans leurs recettes, ici les influences se sont toujours mêlées, du port de Marseille à la vallée du Rhône en passant par les Alpilles. Ce terroir évolutif attire particulièrement les chefs qui souhaitent s’affranchir des classiques, tout en respectant le goût profond du Sud.

  • Plus de 30 restaurants étoilés au Guide Michelin 2024 se partagent la Provence (source : Guide Michelin).
  • En 2023, la ville de Marseille comptait 6 restaurants étoilés, contre seulement 2 en 2009 (source : Michelin, La Provence).
  • La Provence reçoit en moyenne près de 2 millions de visiteurs gastronomiques chaque année, curieux de découvrir les nouvelles saveurs du terroir (source : CRT Provence-Alpes-Côte d'Azur).

Des chefs étoilés qui revisitent la cuisine du Sud

Parmi la trentaine de chefs étoilés que compte la région, certains marquent une rupture audacieuse avec les codes de la cuisine provençale traditionnelle. Leur force : réinventer les produits du terroir sans jamais les travestir.

1. Gérald Passedat, Le Petit Nice*** (Marseille)

Difficile d’évoquer la Provence sans citer Gérald Passedat. Ce natif de Marseille — trois étoiles Michelin depuis 2008 — fait rayonner la Méditerranée dans l’assiette. Ici, le poisson règne en maître, avec plus de 65 espèces différentes travaillées selon arrivage. La bouillabaisse, signature locale, est ici déconstruite : Passedat décline ce classique en version dégustation, où chaque poisson est mis à l’honneur, sans lourdeur, avec des bouillons clairs et des accords inédits. Son attachement au produit se retrouve dans ses relations avec les pêcheurs locaux, et sa démarche de valorisation des espèces peu connues ou menacées, comme la vieille ou la bogue. Un engagement couronné par son admission dans le classement des 50 World’s Best Restaurants dès 2017 (source : World’s 50 Best).

2. Glenn Viel, L’Oustau de Baumanière*** (Les Baux-de-Provence)

À seulement 44 ans, Glenn Viel est entré dans le cercle fermé des triple étoilés Michelin, à la tête de l’emblématique Oustau de Baumanière. Sa vision ? Installer la Provence dans la modernité : il allège les sauces, ose les associations inattendues, sublime les légumes du domaine. Un exemple : son “agneau de pays confit” avec une tapenade nouvelle génération, ou ses desserts qui marient les plantes aromatiques du jardin à l’acidité des agrumes des Alpilles. Viel s’appuie sur plus de 300 variétés de légumes cultivées sur place. Il collabore directement avec Jardins de Baumanière, permaculture en circuit court, garantissant fraîcheur et saisonnalité maximale (source : Oustau de Baumanière).

3. Dimitri Droisneau, La Villa Madie** (Cassis)

Moins médiatique, mais tout aussi influent, Dimitri Droisneau célèbre la Méditerranée dans son adresse de Cassis. Son parcours étoilé met l’accent sur les vins locaux — dont plus de 60 références de Bandol et Cassis à la carte — et sur une lecture quasi maritime du produit. Ses plats signatures : le “loup de Méditerranée cuit à la braise, fenouil et zestes d’agrumes” ou encore les “ravioles de brousse, jus d’oursin”, vibrent de modernité. Droisneau défend une approche écoresponsable et privilégie l’achat direct auprès des pêcheurs du port de Cassis.

4. Nadia Sammut, La Fenière* (Cadenet)

Première cheffe étoilée gluten free de France, Nadia Sammut ne se limite pas à revisiter la Provence : elle la repense pour l’adapter à tous. Elle utilise pois chiches, légumes oubliés et huiles provençales, pour des assiettes vibrantes et modernes. Son “houmous de lentilles blondes de Provence” ou sa “focaccia sans gluten aux herbes” illustrent cet engagement. La Fenière, premier restaurant étoilé sans gluten en France, attire un public venu de toute l’Europe. Sammut a ainsi largement contribué à l’image inclusive d’une Provence contemporaine et engagée (source : Le Figaro).

Techniques et influences : comment ces chefs réinventent la Provence

Les nouveaux chefs provençaux ne s’interdisent rien et, surtout, ne se contentent pas de recopier la carte postale culinaire. Quelques points communs :

  • Sourcing pointu : fruits, légumes, poissons, agneaux – tous privilégiés locaux, issus de filières courtes, souvent en bio.
  • Légèreté retrouvée : sauces et accompagnements allégés, érigeant la Provence en bastion du « bon pour la santé » (source : Michelin, interview Glenn Viel).
  • Ouverture culturelle : intégration d’épices ou de techniques asiatiques, inspiration d’Italie ou d’Afrique du Nord, en cohérence avec l’histoire migratoire locale.
  • Assiettes végétales : démocratisation du légume en plat principal. À Marseille, 37% des restaurants étoilés ont une option végétarienne ou végétalienne sur leur menu (source : La Liste).
  • Valorisation du “petit patrimoine culinaire” : travail sur les variétés anciennes de tomates, pois chiches, olives ou herbes. Les micro-producteurs sont de plus en plus mis en avant dans les cartes.

Associations et collectifs : le rôle moteur des chefs dans la transmission

Loin d’être des solistes enfermés dans leurs établissements, la majorité de ces chefs participent à des initiatives collectives pour défendre et renouveler la cuisine du Sud :

  • Le Collège Culinaire de France : plusieurs chefs provençaux y siègent pour défendre un modèle culinaire local, durable et indépendant (source : Collège Culinaire de France).
  • Fooding, “La Table” et le guide Gault & Millau : ces distinctions mettent régulièrement à l’honneur les adresses qui revisitent la tradition (exemple : AM par Alexandre Mazzia, élu Meilleur Restaurant de France par Gault&Millau en 2022).
  • Mouvement “Biocoop’Table” : encourage le passage de la haute gastronomie à une source 100% locale, bio et saisonnière — un engagement tenu par plusieurs restaurants étoilés du Luberon et de la côte varoise.

Leur action passe également par la formation : beaucoup ouvrent leurs cuisines à des stagiaires et organisent des événements grand public autour du goût, du bien-manger et de la transition écologique en cuisine (Journées Goût de France, Ateliers de la Mer à Marseille).

Ces nouvelles adresses qui font bouger les lignes

Restaurant Chef(fe) Commune Particularité
Le Petite Maison de Cucuron* Eric Sapet Cucuron Relecture de la soupe au pistou, travail sur les produits du Luberon
AM par Alexandre Mazzia*** Alexandre Mazzia Marseille Associations légume-poisson, influences africaines et extrême-orientales
Mickaël Féval* Mickaël Féval Aix-en-Provence Carte courte, légumes bio du marché d’Aix
Hôtel Belles Rives* Yoric Tièche Antibes-Juan Les Pins Modernité, saveurs d’herbes fraîches et cuisine de la mer créative
Mirazur*** Mauro Colagreco Menton Numéro 1 mondial 2019, micro-terroir et jardin aromatique d’exception

Chacun de ces établissements compose sa propre partition. L’idéal reste d’y réserver à l’avance : selon Atout France, la durée d’attente pour une table au Mirazur ou chez Mazzia dépasse fréquemment les 3 à 6 mois en saison estivale.

Une Provence gastronomique en mouvement

Loin de l’image figée du cassoulet ou des navettes, la cuisine provençale contemporaine est aujourd’hui portée par des chefs qui conjuguent création, exigence et sincérité. Ancrés dans leur terroir, ces talents font de la Provence l’un des pôles les plus dynamiques de la gastronomie française. Leur réussite prouve que le respect du produit, l’ouverture à la différence et le choix du local ne sont pas incompatibles avec l’excellence et l’innovation. Pour les gourmets curieux, le territoire provençal s’avère être l’un des plus fascinants laboratoires culinaires d’Europe — et il y a fort à parier que les prochaines étoiles brilleront encore longtemps entre Alpilles, calanques et champs d’oliviers.

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